Lettre ouverte du Docteur Christine Gintz à Madame Carlotti

Lettre ouverte du Docteur Christine Gintz, psychiatre et psychanalyste à Grenoble à Madame Carlotti, ministre déléguée aux affaires sociales et à la santé.

Madame la Ministre,

Votre plan autisme a été dévoilé il y a quelques jours dans la presse, et, après lecture, je voulais vous dire ma consternation. Certes, il va dans le sens des recommandations de la Haute Autorité de la Santé (HAS), pour autant vous savez que des recours sont déjà engagés contre ces recommandations que de nombreux professionnels et parents d’autistes estiment aberrantes. Certes, il répond en partie aux revendications de certaines associations de familles auxquelles des praticiens font miroiter des résultats qui les font espérer beaucoup.

En dépit de ce vernis d’un consensus apparent, je vous adresse ces quelques remarques :

Observons d’abord, que l’autisme n’est pas une maladie, mais un syndrome, c’est-à-dire un ensemble de symptômes dont les causes sont multiples, et encore très mal connues. Cette multiplicité des origines de la maladie explique que certains patients parviennent, malgré leurs difficultés, à des professions intellectuelles brillantes sans l’apport des thérapies éducatives que votre plan entend valoriser puisque ces méthodes n’avaient pas encore cours dans leur enfance… Mais il est vrai que d’autres sujets demeurent durablement dans une situation de grand handicap.

Dans ces conditions, comment étudier l’efficacité d’une technique alors que les populations de départ sont aussi hétérogènes ? Pour ne parler que des autismes d’origine génétique -ceux sur lesquels vous vous basez pour exclure la psychanalyse dans leur prise en charge- plusieurs centaines de gènes différents semblent être en cause, agissant seuls ou conjointement avec d’autres gènes. Et l’autisme à lui seul, peut être considéré comme un corpus de plus de mille maladies différentes. Le fait que certains symptômes communs se retrouvent n’implique en aucun cas qu’une technique unique (comme la pensée du même nom) soit bonne pour tous. Pour prendre un exemple si, sur des tumeurs cérébrales de même localisation, on évaluait l’efficacité de la chirurgie ou celle de la radiothérapie, sans tenir compte de leur type histologique, (c’est-à-dire en mélangeant des tumeurs malignes et des tumeurs bénignes) un simple étudiant de première année trouverait ce système d’étude aberrant. C’est pourtant ce que le « plan » que vous validez applique. Considérant « l’autisme » comme si l’on savait précisément de quoi nous parlons alors que ce terme recouvre les affections multiples d’une maladie très méconnue.

Pour leur part les psychanalystes ont la sagesse de ne pas produire d’évaluations dans des conditions impossibles et qui ne s’y prêtent donc pas. Cela pour quelques raisons évidentes que je viens de décrire, et pour d’autres qui concernent la spécificité de l’être humain dans son rapport au langage. C’est là une position éthique. Que la HAS ose récuser la psychanalyse au prétexte qu’elle ne se soumet pas à ce type d’évaluation (fallacieuse) est en contradiction avec toute forme de rigueur scientifique.

Et il y a beaucoup de confusions dans les « outils » rejetés par la « Plan ». Beaucoup de parents refusent le recours aux structures qui existent en France, de type IME ou hôpitaux de jour. Ils entretiennent cette idée que ces établissements, pour le traitement des enfants, se réfèrent à des « théories psychanalytiques » alors que ces institutions ne sont que trop rarement un bon reflet des travaux de la psychanalyse sur l’autisme. Combien d’entre elles ont un psychanalyste parmi leur personnel ? Et leur mode de fonctionnement est très variable puisqu’il ne dépend que des personnalités des salariés, de leur formation et des moyens qui leur sont alloués.

Ce que vous oubliez en revanche, c’est que l’association Préaut, créée par des psychanalystes, ne vous a pas attendue pour former des pédiatres au dépistage précoce de l’autisme, bien avant 18 mois.

Concernant une affection aussi mal connue que l’autisme, comment pouvez-vous priver les patients qui en souffrent d’une voie de recherche ? Comment pouvez-vous récuser les travaux des psychanalystes qui poussent aussi loin que possible les recherches sur les effets du langage sur la subjectivité. Et, aussi bien, les effets des difficultés avec le langage sur la façon de se construire comme sujet ?

Même si quelques centaines de gènes ont été pressentis comme statistiquement en lien avec des syndromes autistiques, le chemin est encore long avant d’établir la chaîne des phénomènes allant du gène à l’autisme. Comment pouvez-vous imaginer, même dans les cas d’un autisme d’origine génétique, que cette anomalie soit sans effet subjectif ? Comment pouvez-vous imaginer que le cerveau ne soit qu’un banal organe qu’il faudrait entraîner et perfectionner selon des techniques éducatives ? Il suffit d’observer les résultats des techniques éducatives sur les enfants non autistes, pour mesurer leur faible rendement. Faut-il rappeler cruellement le nombre d’enfants ne sachant pas lire, écrire ou compter en entrant en classe de 6e ?

Mais, si je vous écris cette lettre, c’est que quelque chose de grave et capital m’affecte profondément, comme une fracture dans le fil de l’histoire : jamais les psychanalystes, eux, ne se sont autorisés à demander le retrait des autres formes de pratique ou de recherche dans quelque domaine que ce soit. Un praticien, un chercheur, se préoccupe en général de son travail sans vouloir anéantir celui des autres. La situation n’est pas « conflictuelle », comme vous la décrivez, mais la guerre est néanmoins déclarée à la psychanalyse, à laquelle vous avez décidé de porter le coup de grâce. Que vous supprimiez les « allocations de formation » ne leur enlèvera pas grand-chose dans leur pratique quotidienne : pour financer leur formation permanente, les psychanalystes ont l’habitude de ne dépendre ni des laboratoires, ni des gouvernements. Ils paient eux-mêmes l’amélioration de leur pratique et de leurs connaissances. Que vous vous permettiez, par ce « Plan », de discréditer le travail et l’engagement de milliers de personnels soignants est une décision brutale et honteuse, méprisante. Mais surtout, et semble-t-il le cœur léger, vous désespérez de nombreuses familles en leur laissant penser qu’elles se sont trompées et que leur enfant aurait fait plus de chemin avec d’autres méthodes. C’est une lourde responsabilité que vous prenez.

Décider de la manière dont doit être prise en charge une affection aussi méconnue que l’autisme, refuser la pluralité des soins à partir d’arguments aussi faibles est, pour moi l’expression d’une pensée totalitaire. Ayez la curiosité de vous rendre sur quelques blogs dont les auteurs se consacrent à ce sujet. Vous pourrez mesurer la violence des propos où l’on remplace le « c » par le « k » allemand pour écrire KOllectif, et où l’on commence par établir une « liste noire » de ceux qui résistent à la révolution en cours, celle entérinée par votre « Plan ». Vous avez soufflé sur des braises inquiétantes pour les psychanalystes, et au-delà de ces derniers, pour la société dans son ensemble.

Christine Gintz