Bernard Golse

Texte rédigé et lu par Bernard GOLSE lors de l’enterrement de M. SOULÉ, au cimetière Montparnasse, Paris, le 7 février 2012.

Merci beaucoup à Sylvie DIATKINE et à Jean-Sébastien SOULÉ de m’avoir permis de dire quelques mots aujourd’hui pour évoquer la mémoire de leur père, qui a aussi été un formidable grand-père comme le savent tous ses petits-enfants ici présents, mais je dois dire que c’est pourtant la première communication que je ferai pour Monsieur SOULÉ, sans plaisir aucun, absolument.

J’ai toujours écrit pour lui avec enthousiasme, mais je redoutais le moment où il me faudrait écrire sur lui, et la peine est immense, évidemment !

Je m’aperçois d’ailleurs que je ne me suis jamais adressé à lui en lui disant Michel, mais toujours en lui disant « Monsieur », ce dont, lui et moi, n’avons jamais directement parlé, mais qui s’inscrivait dans la grande tradition de la hiérarchie hospitalo-universitaire, même si je n’ai jamais été, statutairement, son interne ou son chef de clinique.

Alors, aujourd’hui encore, et pour la dernière fois, Michel, je m’adresserai donc à vous en vous disant encore « Monsieur ».

 

Bien entendu, Monsieur, il me faut dire quelques mots de votre trajet professionnel tout à fait hors du commun, et je vais le faire, mais je voudrais surtout faire sentir quelque chose de votre personnalité si particulière et si originale, de l’impact que vous aurez eu sur presque trois générations de professionnels, et aussi du lien si spécial qui nous unissait profondément.

Bien sûr, nous sommes tous infiniment tristes, mais compte tenu de ce que vous étiez et de la place de l’humour dans votre propre fonctionnement, il me semble que même aujourd’hui, et même ici, il faut que nous puissions aussi sourire en pensant à vous.

Le rire et le sourire sont du côté de la vie qui nous dépasse tous, au-delà de nos propres vies, et je suis sûr, Monsieur, que vous me pardonnerez si je ne dis pas que des choses tristes…

 

Monsieur, vous avez d’abord été pédiatre puis psychiatre, et vous m’avez souvent raconté la réaction de votre mère quand vous lui avez annoncé votre choix de devenir pédopsychiatre. Vous aviez obéi à l’injonction de votre père de faire d’abord mathématiques élémentaires et mathématiques supérieures avant de vous destiner à la médecine, puis à la pédopsychiatrie.

« Mais qu’est-ce que je t’ai donc fait mon pauvre petit ? » vous aurait-elle dit, pourtant, en apprenant votre décision, et ce souvenir a souvent été, pour vous, un moyen de faire sentir aux plus jeunes l’ambivalence envers les adultes qui peut se cacher au cœur même des racines de nos vocations.

S’occuper des enfants des autres, tout un programme, disiez-vous souvent !

 

Monsieur, de 1955 à 1980 vous avez dirigé la consultation de psychiatrie infantile à l’hôpital Saint-Vincent de Paul, consultation que vous aviez créée à la demande du Pr Marcel LELONG, et ceci dans les bains-douches de l’établissement ...

C’est là que vous avez débuté votre travail avec l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance) en allant, notamment, visiter les enfants placés en province par le biais des agences.

C’est là que s’est développé votre extraordinaire travail avec Léon KREISLER sur la psychosomatique du premier âge, travail dont témoigne, encore et toujours, le livre « L’enfant et son corps » indéfiniment republié depuis lors.

Cette consultation a ensuite été dirigée par Françoise BOUCHARD, et quand j’y suis venu, c’est Françoise PEILLE qui m’a accueilli et qui peut-être, alors, vous a parlé de moi ...

Quoi qu’il en soit, l’année dernière, vous nous avez dit, Monsieur, lors du dernier entretien que nous avons enregistré de vous, pour le congrès de l’AEPEA (Association Européenne de Psychopathologie de l’Enfant et de l’Adolescent) qui allait se tenir à Bologne mais auquel vous ne pouviez pas vous rendre, que votre carrière s’enracinait, au fond, d’une part dans le corps - de par votre formation de pédiatre - et d’autre part dans le socius - de par votre action en lien avec l’ASE et le thème de l’adoption.

Ce double ancrage est exceptionnel, et il a sans doute donné toute sa consistance humaine et clinique à vos travaux.

 

Vous avez ensuite, Monsieur, créé en 1965 et dirigé jusqu’à la fin de votre vie active, le Centre de Guidance infantile de l’IPP (Institut de Puériculture de Paris), centre exemplaire à bien des égards, entièrement dédié à la clinique précoce et à la question de la prévention.

Vous y avez été, en réalité, Monsieur, un véritable pionnier de la psychiatrie du bébé.

A l’époque de mes études, quand on voulait devenir psychiatre d’enfants, on commençait par aller dans des services de psychiatries d’adultes, puis d’adolescents, et ensuite d’enfants.

C’est là qu’on m’a dit que je devrais aller voir de votre côté ce qu’il en était de la psychiatrie du bébé, et quand je vous ai rencontré, vous m’avez dit qu’il y avait aussi le fœtus, et puis que viendrait peut-être, ensuite, le temps de la psychiatrie des gamètes, avec d’ores et déjà, me disiez-vous, la sacralisation des gamètes au sein des techniques d’AMP (Assistance Médicale à la Procréation) !

Et de fait, vous avez étudié les enjeux psychologiques et psychopathologiques de l’AMP en compagnie du fondateur des CECOS, en France, soit le Pr Georges DAVID qui vous a profondément admiré.

Je ne sais certes pas ce qu’il adviendra la psychiatrie des gamètes, mais l’idée de ce chemin antidromique allant de l’adulte jusqu’aux gamètes, chemin parallèle à celui de la cure psychanalytique elle-même qui remonte peu à peu vers les âges les plus précoces, témoignait bien, me semble-t-il, de votre passion pour la psychanalyse, passion qui ne s’est jamais démentie, quel que soit le contexte socioculturel à ce propos.

Nombre de personnes amies sont passées par la guidance, telles Catherine DRUON et Joyceline SIKSOU notamment.

 

Au dessus de la guidance infantile, à l’IPP, vous avez créé en 1970 un hôpital de jour tout à fait pilote et innovant pour la prise en charge précoce des jeunes enfants autistes.

Après Didier HOUZEL et Fabienne CASTAGNIER notamment, vous m’avez fait l’honneur de me confier la direction de cet hôpital de jour de 1983 à 1993, mission qui a été l’une des plus formatrices de ma trajectoire personnelle.

Vous me disiez parfois : « Bernard, quand on a vécu et supporté des synthèses d’un hôpital de jour, on peut aller partout dans la vie, et l’on peut tout affronter ! »

Je crois que vous aviez absolument raison, et cette expérience m’est encore, bien souvent, fort utile !

La guidance infantile et l’hôpital de jour ont ensuite été dirigés, après vous, par Antoine GUEDENEY puis par Linda MORISSEAU.

Mais c’est sous votre égide que l’IPP était devenu un centre pilote, de réputation nationale et internationale.

Vous y avez noué des liens avec des pédiatres prestigieux tels que Pierre SATGE, Jacques CHARLAS, Roger SALBREUX (fondateur du CAMSP de l’IPP), et Marcel VOYER, mais aussi avec les responsables de la PMI, et notamment avec Edith THOUEILLE qui a su être si proche de vous dans des moments ô combien difficiles et avec laquelle vous avez conçu, assez récemment encore, ce SAPPH (Service d’Aide à la Parentalité pour les Personnes Handicapées) qui promet d’être un outil précieux et extrêmement innovant.

Janine NOEL y travailla bien sûr avec vous, et chacun sait aussi l’importance de vos collaboratrices telles qu’Elisabeth SALVON et Colette MINGANT, Gisèle BAIN et aujourd’hui Armelle BROUSSARD qui ont fait l’âme de la maison, en quelque sorte.

J’ajoute à quel point vous avez compté pour l’école de puéricultrices de l’IPP, et Colette de SAINT-SAUVEUR se rappelle encore avec émotion tout ce qu’elle et ses élèves vous doivent.

 

Quoi qu’il en soit, nous nous rappelons tous encore, Monsieur, les fêtes que vous aimiez tant, et je voudrais seulement évoquer deux d’entre elles.

  •  La première, quelques mois après ma prise de fonction à l’Hôpital de jour. L’équipe de l’Hôpital de jour avait préparé, en votre honneur, une superbe farandole vénitienne, avec musique de Vivaldi, fumées psychédéliques, et banderoles où se trouvait inscrit, en grosses lettres, l’acronyme « LSD », puisque c’était l’époque de la parution de votre Manuel fondamental de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, soit le fameux Lebovici/Soule/Diatkine.
    Quelle ne fut pas ma surprise, alors - moi qui arrivais dans votre secteur pour éradiquer, ni plus ni moins, toute trace d’autisme et de psychose infantile du 14ème arrondissement de Paris - d’entendre l’équipe que j’allais diriger pendant dix ans, s’écrier pour conclure la farandole : « Vive l’autisme, l’autisme vaincra ! ».
    Il m’aura fallu du temps, grâce à vous, Monsieur, pour comprendre que la victoire de l’autisme était de nous apprendre tant et tant sur les mystères des débuts de la vie psychique, et vous avez été l’un des tout premiers à affirmer, à propos de « L’enfant qui venait du froid », que, dans bien des cas, c’est l’enfant autiste qui perturbe gravement ses parents, et non pas l’inverse.
  • La deuxième, est l’opéra Baroque que nous avons composé ensemble en l’honneur du « Quatorzième triomphant », vous le livret, moi la musique.

Nous sommes nombreux à nous souvenir encore de ce moment féérique, dans l’hôtel particulier qui abrite le musée de l’AP-HP (Assistance Publique de Hôpitaux de Paris), et la préparation de cette fête avait été, par elle-même, une sorte d’acte institutionnel fécond permettant aux équipes de se connaître et de se découvrir, sur le fond d’un objectif artistique partagé.

 

À propos de secteur, il faut alors rappeler, Monsieur, que c’est vous qui avez fondé, dans les années soixante-dix, le secteur de Psychiatrie Infanto-Juvénile du 14ème arrondissement, œuvre historique dont nous mesurons encore aujourd’hui les effets durables.

De son côté, Serge LEBOVICI, votre collègue et analyste, fondait le secteur du 13ème arrondissement, l’émulation et la rivalité relative entre ces deux secteurs ayant fait le lit ensuite, pendant des années, d’une force innovante et d’une créativité inouïes.

Et ceci notamment dans le champ de la prévention, avec le cahier célèbre des recommandations.

Mais de la prévention, vous disiez souvent qu’elle était mal payée, et contraire à la nature humaine, en donnant un exemple concret : dites à des adolescentes qu’il ne faut pas à la fois fumer et prendre la pilule, et vous pouvez être sûrs qu’elles arrêteront la pilule !

Malheureusement, en matière de prévention, la mort, cela n’arrive pas qu’aux autres...

Je rappellerai aussi le CMP de la rue du Père Corentin et la consultation adolescents de la rue de Ridder, ensemble qui a ensuite été dirigé par votre ami Yann Du PASQUIER avant d’être confié à Marie-Odile PEROUSE de MONTCLOS, ainsi que le placement Alésia avec des personnes qui vous ont été chères comme Janine OXLEY et Michelle ROUYER.

C’est dans le cadre du secteur que vous avez inventé la notion de « Secteur Unifié de l’Enfance » qui était d’ailleurs une trop bonne idée pour pouvoir longtemps durer, et qu’il nous faudrait sans doute, aujourd’hui, savoir réanimer.

Mais c’est vous, surtout, qui aviez l’art du dialogue avec les politiques qui tombaient tous sous l’effet de votre charme intellectuel, tels Simone VEIL et Jean-Louis BIANCO pour ne citer que ceux-ci.

 

C’est finalement en 1985, Monsieur, que vous avez été nommé Professeur de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, après de multiples péripéties que vous avez toujours racontées avec la malice et la facétie de votre regard sur notre si curieux monde médical et universitaire...

Un peu à la manière ambivalente de S. FREUD qui était lui-même fort critique à l’égard de l’université mais qui avait, pourtant, tellement tenu à être nommé Privat-Dozent !

Une fois nommé professeur, vous avez alors activement contribué à la nomination de plusieurs de vos élèves, et ceci sans la moindre ambivalence à leur égard.

Parmi ceux qui vous doivent beaucoup sur ce plan, je citerai par exemple, Didier HOUZEL, Bernard BRUSSET, Gérard SCHMIT, Antoine GUEDENEY et bien sûr moi-même, et je dois dire que j’ai toujours été très impressionné par le plaisir qui était le votre face à ces nominations qui ne suscitaient chez vous aucun mouvement d’envie rétrospective.

Il y a peu de patrons qui ont eu la même sagesse, et de ce fait peu de patrons qui ont su assurer leur succession avec tant de calme et d’efficacité.

Alors là, c’est clair, je vous dois, Monsieur, un immense merci !

 

Mais le temps passe, et le froid est vif.

Il y aurait, pourtant, tant de choses à dire encore...

La création de l’association PHYMENTIN que j’ai maintenant l’honneur de présider, en lien étroit avec Martine AGMAN comme médecin-directeur et Grégory MAGNERON comme secrétaire général, PHYMENTIN avec ses trois unités de soin et le COPES :

  • l’EPI (Etablissement Psychothérapeutique Infantile) avec Martine AGMAN et Michel DESSE puis Xavier MOYAPLANA et maintenant Olivier GINOUX ;
  • l’USIS (Unité de Soin Intensif du Soir) avec Corinne EHRENBERG et Charles FOLIOT, et maintenant Philippe METELLO ;
  • le COFI (consultation filiation) avec Pierre LEVY-SOUSSAN comme vous, spécialiste de la filiation ;
  • le COPES (Centre d’Ouverture Psychologique et Sociale), centre de formation qui vous importait tant comme lieu de formation des équipes de terrain, parallèlement à l’enseignement universitaire classique, centre longtemps dirigé par Anne FRICHET ma « sœur de lait » en quelque sorte, nourrie comme moi à votre sein conceptuel  et maintenant par Christine ASCOLI.

L’association PHYMENTIN va bientôt venir s’installer à l’IPP, ce qui vaut comme un symbole fort dont l’idée vous a fait très plaisir, mais que vous n’avez pas eu le temps, hélas, de voir se réaliser concrètement.

Paulette ROSEVEGUE peut sans doute en témoigner, elle qui a soutenu nombre de vos projets, et qui vous a épaulé si fidèlement ces derniers temps.

 

Et puis aussi l’invention, ni plus ni moins, de la psychiatrie fœtale en compagnie de François SIROL, de Marie-Josée SOUBIEUX, et de Fernand DAFFOS notamment à l’IPP, sans oublier Sylvain MISSONNIER votre si convivial et si chaleureux complice dans le cadre du « Premier chapitre » du groupe francophone de la WAIMH (World Association of Infant Mental Health).

Sylvain est un petit peu mon frère de travail et d’amitié, alors il est un petit peu votre fils spirituel, lui aussi.

C’est avec lui que vous avez travaillé pour faire valoir que la vie ne commence pas à la naissance, et que la grossesse est le véritable premier temps de cette grande aventure.

 

Mais il faudrait évoquer aussi les formidables « Journées scientifiques de la guidance », presque une quarantaine, dont chacun se souvient comme d’un espace absolument unique où la pensée s’organisait en jouant aux interfaces de la psychanalyse, de la psychiatrie, de la psychologie, mais aussi de la littérature, de l’histoire, de l’anthropologie, de l’art et de la science en général.

C’est dans ce cadre que vous avez, Monsieur, fait connaître en France des auteurs aussi fameux que Terry BRAZELTON, Bertrand CRAMER, Daniel STERN et bien d’autres encore...

Et c’est dans ce cadre que Marcel RUFO, vous et moi formions une sorte de trio d’enfer, lui avec sa fureur clinique, moi avec ma rage théorique, et vous avec votre profondeur tranquille et fantaisiste à la fois.

 

Il faudrait dire un mot également de la WAIMH dont vous avez été l’un des fondateurs, et de votre action si utile au sein du groupe francophone que j’ai fondé aux côtés de Serge LEBOVICI.

Et de votre engagement dans l’association multimédia : « À l’aube de la vie », avec votre impressionnant coffret sur l‘échographie réalisé en compagnie d’Alain CASANOVA : l’échographie comme « IVF (Interrupteur Volontaire de Fantasmes), nous n’avons certes pas fini d’y penser ...

 

Et puis dire un mot aussi de la fondation de l’AEPEA (Association Européenne de Psychopathologie de l’Enfant et de l’Adolescent) avec votre ami Pierre FERRARI et votre grande amie italienne Graziella FAVA-VIZZIELLO, AEPEA qui a joué un rôle important avec ses merveilleux colloques organisés dans tout le croissant baroque. Merci à Marie RAT de vous avoir aidé fidèlement dans cette action difficile.

 

Et puis de tous vos travaux dans le champ de l’adoption comme membre du Conseil Supérieur de l’Adoption, et ceci en collaboration avec Janine NOEL qui nous a tant apporté, elle aussi.

Et puis du psychodrame psychanalytique inventé avec vos amis du 13ème (E. KESTEMBERG, S. LEBOVICI et R. DIATKINE notamment) ainsi qu’avec D. WIDLÖCHER, psychodrame où vous faisiez merveille !

Et puis de tous nos voyages en Italie dont vous connaissiez chaque pierre, chaque peinture, chaque sculpture, chaque monument.

Et puis de nos déjeuners rue de l’Estrapade, dans votre jardin extraordinaire, et de tous nos petits dîners en bas de chez vous, au coin de la rue.

Mais je vais m’arrêter là, car il faut bien s’arrêter quelque part !

Quand on regarde l’ensemble de votre œuvre, Monsieur, on demeure époustouflé, littéralement !

Vous avez été membre titulaire de la SPP (Société Psychanalytique de Paris), et vos articles et vos ouvrages sont résolument innombrables.

La psychanalyse est demeurée pour vous, tout au long de votre vie, une référence essentielle, mais vous avez su nous transmettre une psychanalyse vivante et ouverte qui nous rend plus forts face aux terribles attaques que nous avons à affronter aujourd’hui.

Certains pensent peut-être que vous avez été davantage un clinicien qu’un théoricien, mais ceci n’est pas aussi simple que cela, en réalité.

Certes, vous n’étiez pas un théoricien austère et desséché.

Votre théorisation passait toujours par la clinique, par la vie et par l’humour.

Quand on constate aujourd’hui, une haine généralisée de la pensée à l’égard de la pensée, votre humour valait au contraire comme une preuve d’amour de la pensée pour la pensée, et chez vous il s’agissait bien d’humour qui vous visait toujours en même temps qu’autrui, alors que l’ironie ne vise jamais que les autres.

De l’humour toujours, de l’ironie jamais !

Histoires d’amour, histoires d’humour...

Quant à votre amour de la transmission, il n’aura jamais défailli, et j’ai eu le plaisir de vous annoncer, il y a quelques jours seulement, que votre article sur œdipe à Colone, écrit à partir de votre lit d’hôpital, avait été accepté par la revue « La Psychiatrie de l’enfant », ce qui vous a littéralement comblé de joie.

Je crois d’ailleurs que vous aviez encore un article en préparation sur la fonction d’arrière-grand-parent, et que c’est l’une des dernières choses dont vous avez pu parler avant de vous endormir à jamais : soit l’amour de la transmission jusqu’au bout !

Comme au sein de nos consultations communes où, aux yeux des enfants, nous incarnions de fait un couple père/grand-père qui fonctionnait efficacement sur le plan de la transmission transgénérationnelle.

Même alors que vous étiez déjà très affaibli, les étudiants du Diplôme Universitaire que nous avons créé en 1991 dans la suite de votre enseignement de l’IPP, continuaient à vous écouter comme des bébés, comme des enfants à qui l’on raconte des histoires.

Peut-être aurait-il fallu que vous mouriez en scène, mais cela, malheureusement, on ne le choisit pas !

 

Hélas, Monsieur, je me dois de conclure, maintenant.

Nous avions une relation très proche et infiniment complice.

Vous m'avez tout appris : la pédopsychiatrie, la psychanalyse, l'institution, et donc l'humour dont je viens de parler.

Venise, l'Italie, le fœtus, le bébé, l'autisme, l'adoption ... tout nous a réunis, et vous allez me manquer, vous allez nous manquer terriblement.

Vos travaux sur les clowns ont également beaucoup compté pour moi, et je crois que vous-même étiez l'un des plus grands clowns qui soit, au sens noble du terme.

Un clown non pas triste mais lucide sur la comédie humaine, si sombre et si gaie à la fois.

Vous saviez parler des choses graves avec la plus grande légèreté.

Si la vie ne commence pas à la naissance, elle ne finit pas non plus avec la mort, et l’on est vivant tant que l’on existe dans la mémoire de ceux à qui l’on a transmis tant de choses, non seulement la vie, mais aussi la capacité même de transmettre (d’où l’importance de la fonction de grand-parent et d’arrière-grand-parent).

Alors pour tout ceci, une dernière fois, je vous dis, au revoir « Monsieur » ... et comme je l’ai fait lors de certaines des journées scientifiques, je voudrais maintenant scander mon propos par une dernière évocation musicale.

J’ai choisi une musique qui n’a rien de très sacré, j’en conviens aisément, mais je crois cependant qu’elle vous aurait plu, qu’elle aurait su vous plaire.

En tout cas, c’est celle qui me paraît pouvoir le mieux vous adresser une sorte de dernier « salut l'artiste ! » que vous méritez tant et tant.

Il s’agit de la musique de Nino ROTA écrite pour le film « La Strada », et si je l’ai choisie, c’est parce que le plus superbe des clowns, hélas, aujourd’hui est mort.

Salut Monsieur, Salut Michel, Salut l’artiste