Lenio Rizzo

Hommage de Lenio Rizzo.

Michel Soulé d’une certaine façon, qui était la sienne, s’était amusé depuis un certain temps à préparer ses amis, ses collègues dévoués, ses auditeurs fidèles à sa disparition : il suffit de se rappeler le nombre de fois où il avait terminé sa journée parisienne annuelle, la « journée Soulé » , en nous faisant sentir, avec ses notes douces-amères, toute la nostalgie qui accompagne la perte, ne fut-ce alors que la peur de la perte. Et malgré cela, maintenant que son départ est réel et qu’ aucune magie ne le fera plus revenir vivant entre nous, en chair et en os et avec tout son esprit vital, on se retrouve moins préparé qu’on ne le pensait à son départ. Bien évidemment à cause de tout ce qu’il a signifié pour nous et qu’il continue de représenter. Pour moi, ce fut un vrai grand plaisir de faire la connaissance directe, dans les années 90, d’un des grands auteurs de la pédopsychiatrie française, celui qui déjà vingt ans auparavant m’avait initié à différents chapitres de la clinique du nourrisson, mais aussi aux grandes questions psycho-sociales dont on commençait à s’occuper un peu partout et sur lesquelles il avait déjà à l’époque des positions innovantes. Quel a donc été mon plaisir quand j’ai pu aborder directement avec lui nombre de ces questions, avec lui qui était toujours si disponible et sincèrement intéressé par ce que l’interlocuteur pouvait lui apporter. C’était aussi chaque fois l’occasion de rencontrer l’homme Michel Soulé, l’intellectuel avec lequel on pouvait discuter de tout, en étant certain qu’il pouvait ajouter toujours quelque chose à nos pauvres connaissances. Il faisait montre alors d’une mémoire remarquable, en particulier à propos des trésors artistiques qu’il avait découverts à l’occasion de ses fréquents voyages en Italie et il se réjouissait d’en parler chaque fois qu’on lui en offrait l’occasion. Et que dire de ses amours pour la musique, pour l’opéra lyrique, pour Rossini, auquel il était lié de toute évidence par une identification particulière ? Ce fut certainement son intérêt passionné pour ce grand musicien italo-français qui m’a conduit à participer pendant des années au festival rossinien de Pesaro, qu’il avait lui aussi fréquenté pendant plusieurs saisons.  Il y avait un côté de Soulé que petit à petit j’ai eu la grande chance de connaître : il était un vrai maître, qui non seulement s’occupait de ses collaborateurs et qui arrivait à organiser avec eux et pour eux des services très importants, qui dispensait non seulement son savoir à l’occasion des colloques et des séminaires organisés par lui-même ou quand il en était l’invité d’honneur, mais qui savait aussi suivre dans le temps un parcours professionnel dont il n’avait eu que quelques aperçus.  Et quand   on  l’attendait le moins, il savait donner ses conseils, toujours pertinents.

J’ai tellement présent à l’esprit le souvenir chaud et cordial de mes rencontres privées avec lui dans le petit bistrot de la rue de l’Estrapade à coté de chez-lui, qui devenaient de vraies discussions de travail avec une vision à 360° et pendant lesquelles il savait mélanger, avec son brio, des souvenirs personnels dans le domaine de l’activité clinique et scientifique, avec des suggestions au collègue plus jeune et avec des réelles anticipations des activités que l’on souhaitait réaliser ensemble.

Malgré la discontinuité, mes contacts avec lui conservaient un climat d’intimité  rare et qui me donnait la singulière sensation de pouvoir compter sur lui. Ce fut précisément du fait de ce sentiment qu’à l’occasion d’une tâche pour moi émotionnellement très lourde (je me trouvais expert du tribunal dans une situation pour moi toute neuve et d’une difficulté extrême),  je m’adressai à lui pour avoir son avis. Il sut alors fort bien interpréter mon état d’âme et les mots, justes et mesurés, qu’il ajouta à mes hypothèses, furent pour moi une garantie dans un moment si difficile et demeurent encore aujourd’hui un legs précieux.  

Lenio Rizzo, pédopsychiatre, Padoue.