Une conférence réunissant Daniel Stern, Juliana Vamos et Véronique Lemaître.
La conférence organisée le 5 février 2000 à Paris par le groupe d'étude C.G.Jung et reproduite ici avec son aimable autorisation avait réuni Julianna Vamos, Daniel Stern et Véronique Lemaître. Ce fut un moment d'échange riche et émouvant autour des organisateurs inconscients de la vie psychique du bébé ou « Comment se représenter la rencontre entre un adulte et un bébé ? »
Cofondatrice avec Francis Maffre de « Regards sur la petite enfance » (Grenoble), V. Lemaître a été invitée par Norbert Chatillon dans le cadre des conférences organisées par le groupe CG Jung à Paris, à réfléchir avec ce groupe sur la question des organisateurs inconscients de la vie psychique du bébé. Nous avons pensé que c’était une bonne occasion pour permettre une rencontre entre D. Stern et J. Vamos autour de l’expérience vécue par le bébé profitant des soins psychiques et de l’accompagnement développemental à Loczy, et s’avancer avec eux deux vers une meilleure compréhension des phénomènes transférentiels, en particulier pour ce qui concerne le très petit bébé.
Il nous a semblé, en revoyant ces échanges 13 ans après, qu’il s’y dégage une liberté de penser et une générosité rares et bienfaisantes aujourd’hui encore. L’idée de V Lemaître de préciser comment la psychanalyse et ses avancées, pour autant qu’on nomme psychanalyse le dispositif qui permet à qui s’y prête une rencontre authentique avec ce qui lui échappe la plupart du temps, ont pu inspirer en partie, autant les règles du maternage Loczien que les travaux de recherche de D Stern. Le respect dû aux plus vulnérables, l’attention à leur porter pour reconnaître et soutenir leur forme d’expression en attendant qu’ils aient construit ou retrouvé leurs moyens d’agir sur le monde qui les entoure, nous semblent des valeurs communes, que les explosions de violence de ces dernières années visant en particulier la psychanalyse semblent avoir jetées avec l’eau du bain !
Les conditions de ce travail en commun, en particulier le temps suffisamment long pour recevoir, penser et permettre un dialogue entre les démarches de chacun et avec la salle, ont fait de cette conférence une occasion inoubliable et nous rappellent ce que pourrait être la qualité de nos rencontres « scientifiques ». Il nous faut remercier Norbert Chatillon qui a pris le risque de cette rencontre atypique, et reconnaître les richesses des chemins de traverse !
J.Vamos a cherché à nous faire ressentir l’atmosphère thérapeutique à la pouponnière de Loczy avec une séquence de film d’un bain donné au bébé Erzsike, 4 mois, désorganisée au début puis dans un bel état de présence à soi et à l’autre à la fin de son soin lors de ce bain. Il y apparaît dans le détail comment chaque soin corporel régulier indispensable est utilisé pour cette petite fille comme une occasion de rencontre par excellence entre bébé et adulte, ce qui nous permet de nous rendre compte du travail psychique qui peut s’accomplir dans ce dispositif. Dans le respect de l’état du moment du bébé, dans l’écoute de son niveau d’autonomie, nous avons suivi pas à pas l’émergence de sa capacité d’agir et la mise en œuvre de ses compétences. C’est cela qui lui a permis de développer son potentiel d’auto-organisation. L’impact fondamental pour le bébé en tant que sujet est de faire l’expérience qu’il peut contribuer à son propre bien-être, être acteur dans le déroulement des événements le concernant. Avec cette hypothèse que ceci étayera sa confiance en lui-même, la possibilité de se vivre comme l’auteur de son développement, et sa capacité à vivre en société de façon créative pour plus tard. La découverte d’E. Pikler, si simple à comprendre et si difficile à mettre en pratique, est que la clé de ce processus se tient dans le fait de donner l’occasion au bébé d’exercer librement sa motricité spontanée.
Ce principe détermine fortement l’attitude et les comportements de l’adulte qui prend soin de l’enfant : loin de chercher à lui apprendre ce qu’il ne sait pas encore, l’adulte lui laisse le temps de trouver son propre chemin de développement en respectant ses initiatives et son rythme. Il se retient aussi de toute manœuvre pour le séduire et obtenir sourires et autres manifestations de plaisir, l’objectif du moment partagé avec l’adulte étant plus cette expérience personnelle d’auto-organisation que le plaisir partagé avec lui.
Laisser advenir, ne pas interférer, sont apparus comme la première étape nécessaire pour accueillir ce qu’on ne connaît pas encore : attitude de la nurse à Loczy, mais aussi du psychanalyste qui veille à maintenir un cadre de sécurité et de régularité dans ses rencontres avec le patient pour que ce dernier ait l’occasion de découvrir le cours de ses pensées, et de se confronter à ce qu’il ne connaît pas encore de lui-même et accueillir les transformations que génère cette mise en dialogue avec soi-même.
Ce film du bain d’Erzsike, nous donne à voir comment la régularité de la nurse, la qualité de son attention, son intérêt pour la qualité de leur collaboration dans cette tâche commune de réaliser cette toilette, permet une transformation de l’état d’organisation et de présence au monde du bébé. J Vamos souligne cette auto-organisation en appui sur la nurse, faisant l’hypothèse que le bébé s’appuie sur « ses propres gestes, représentant ses pensées, en attendant qu’il puisse parler ». D Stern émet quant à lui l’hypothèse que pour le bébé, sa rencontre avec la nurse est comme un « sons et lumières », une symphonie, dont ils écriraient ensemble la partition. Il isole les éléments qui se répètent, dans les gestes, les échanges de regards et la voix, décrit les montées en intensité, les nœuds d’activation et reconstruit ainsi la partition de la symphonie polyphonique et polyrythmique de cette rencontre.
Nous interrogeons de façon implicite l’accordage mutuel, l’indécision dans laquelle nous sommes de savoir qui a commencé le changement qui apparaît. Nous semblons tous trois d’accord quant aux aspects symétriques de cette écriture commune, qui n’apparaissent que si l’adulte suspend ses comportements de maîtrise habituels liés à son avance développementale sur le bébé. La question du moment fécond, le Kaïros, où quelque chose survient qui n’était pas prévisible et signe une transformation dans la relation, est décrite particulièrement dans la relation psychothérapique. L’effet de séduction qu’il produit est souligné et la réflexion se poursuit autour du transfert : entre la nurse et le bébé qui a l’attitude la plus proche de celle du psychanalyste ? V Lemaître défend l’idée suivante : dans l’organisation de ses gestes le bébé tente de raconter ses premières expériences, éventuellement psychotraumatiques. La nurse par l’accueil qu’elle en fait soutient la transformation dynamique de ce récit gestuel vers une collaboration active au service de son autonomie et de son développement. D Stern souligne les soubassements neurologiques des transmissions des patterns gestuels d’une personne attentive à l’autre : neurones-miroir et phénomènes de capture, auxquels il est difficile de se soustraire mais qui permettent probablement ces dimensions du transfert.
Le maternage Loczien interroge les phénomènes de séduction si actifs dans les relations entre parents et enfants. Alors que la question se pose sur un mode humoristique : avons-nous vraiment besoin des parents ? D Stern souligne l’importance du jeu avec l’intensité, qui rend aussi la vie plus intéressante. (On se rappelle ses travaux sur le jeu de « la petite bête qui monte », et l’apprentissage par le bébé de la gestion de l’excitation et de l’imprévisible mouvement qui génère le plaisir).
Son ouverture et intérêt à cette expérience insolite de Loczy, l’envie partagée de découvrir ensemble ce qui nous réunissait ce jour là, ce que chacun en attendait, a permis une qualité particulière d’attention du public présent, faisant de ce moment une vraie rencontre où le charisme de notre cher Dan Stern a favorisé une expression libre et légère des réflexions de chacun.
Il nous manquera la douceur de sa voix et de son regard sur les phénomènes qu’il voyait toujours d’un double point de vue non conventionnel avec ses yeux de psychanalyste et de psychologue du développement. Cette tendresse infinie portait une compréhension saisissante, aiguë, et profonde de la première construction et de la croissance psychique du petit humain.
Nous n’avons pas fini de voir et d’apprendre de Dan Stern, dont l’apport a bouleversé et définitivement transformé notre propre regard.
Qu’il en soit encore remercié !
Le 9 février 2013
Véronique Lemaitre et Julianna Vamos
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