Extrait de « Aux sources de l’identité par le psychodrame » de Nadine Amar, Gérard Bayle et Isaac Salem.
« Il reste donc souvent à prendre en compte les carences narcissiques qui font coexister un Moi organisé selon le régime du refoulement, et une partie du Soi qui ne peut que se vider ou être passivement pénétrée, faute de pare-excitation constitué. On est dans la clinique du vrai clivage, le clivage structurel, engendré le plus souvent par le clivage fonctionnel des parents (Bayle, 1991). Ceux-ci, par défaut de structuration œdipienne personnelle ou par souci d'extrême protection de leur Moi et de celui de leurs enfants, amputent le monde symbolique de leurs enfants qui seront donc des invalides de naissance, clivés par non-advenue d'une part importante d'eux-mêmes. Ce défaut, carence narcissique innée, se marque en creux ou parfois en gouffre au milieu de ce qui a pu se structurer.
Cette carence se révèle quand l'environnement se retire du trou qu'il obturait, et celui-ci, virtuel et inerte jusqu'alors, devient béant et actif, ouvert à tout et à tous et traversé de part en part. Il n'y a pas de pare-excitation, pas de refoulement, pas de deuxième censure. Restent le déni, l'idéalisation, la projection et les identifications vampirique, adhésive et projective.
Pour se protéger des angoisses catastrophiques qu'entraîné la sensation de vidage narcissique, et des sensations de morcellement dues aux pénétrations incoercibles du monde extérieur, certains patients se protègent par la mise en place d'un bouchon en guise de pare-excitation. Tout ce qui peut servir à boucher est utilisé dans l'urgence du moment. Fétiches, délires, passions narcissiques, corpus d'idées fixes, obsessions dont la contrainte est absolue, actes pervers, adductions, adhésivités diverses, idéalisations. La fuite libidinale est plus ou moins bien contenue au prix d'une stéréotypie de comportement, voire d'une immobilité dans laquelle on reconnaît l'action de la pulsion de mort.
Que le bouchon vienne à manquer, qu'il soit gênant, inefficace, et d'autres protections seront organisées. Projection, déni, automutilations, hallucinations négatives, personnalités « comme si ». On tente de régler le problème du trou de la carence en lui donnant l'apparence de la vie psychique au risque d'altérer, voire de détruire la partie organisée du Moi dont des pans entiers sont déversés dans le Moloch de la béance narcissique. Sous le bruit, la fureur ou encore dans les apparences de la vie la plus conventionnelle, la pulsion de mort est encore et toujours affectée à son travail de sape.
Ces situations constituent autant d'indications des diverses modalités psychodrame (Amar, Bayle, Salem, 1988), mais il est sûr que certaines blessures narcissiques acquises ont le même retentissement que nombre de carences narcissiques innées.
Par le psychodrame, les analystes tentent de faire ou de refaire un maillage pare-excitant. Les cadres qu'ils proposent sont d'emblée triangulants et figurants. La structure ternaire, patient, meneur de jeu, acteurs, se double d'un accrochage important au cadre et aux temps qui l'organisent. Espace de scène, espace d'attente des acteurs, temps pour préparer le jeu, temps pour jouer, temps pour commenter. Le corps est délibérément mis en jeu et le geste renforce la prosodie pour sous-tendre la parole. Le transfert joue le rôle majeur qu'on lui connaît ailleurs et permet, par un dosage discret des frustrations, qu'adviennent les identifications constructives d'un Moi incomplet. »
Nadine Amar, Gérard Bayle et Isaac Salem, Aux sources de l’identité par le psychodrame, « Revue Française de Psychanalyse », Puf, Paris, 1991, vol 55 (3),Mai/Juin, 627-646.
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