Dysfonctionnement neuropsychologique non-verbal

M.-P. Du Crest parle de la dyspraxie développementale, encore peu reconnue, peut être à l’origine de difficultés d’apprentissage scolaire, de troubles du comportement ou d’inadaptation sociale et émotionnelle.

Cet article est issu de la communication orale du Pr. L. Vaivre-Douret au colloque du 10ème Cours de Strabologie du CHU Nord de Marseille sur les dyspraxies chez l'enfant et l'Amblyopie, Institut de Médecine Tropicale et Service de Santé des Armées, Marseille, le 17 mars2007, le Quotidien du Médecin n° 8164, FMC, 11 mai 2007.

La dyspraxie développementale (DD) fait partie des dysfonctionnements neuropsychologiques non verbaux et touche spécifiquement la réalisation gestuelle et le traitement des informations visuospatiales. Elle est encore peu ou pas reconnue et peut être à l’origine de difficultés d’apprentissage scolaire, de troubles du comportement ou d’inadaptation sociale et émotionnelle.

Définition

La DD perturbe l’exécution motrice d’un geste intentionnel, sans atteinte lésionnelle neurologique avérée, et ne peut être expliquée par un retard mental, un déficit sensoriel ou un trouble du développement psychoaffectif. Comme l’indique le Pr Laurence Vaivre-Douret (neuropsychologue à l’hôpital Cochin et à Necker, AP-HP), les dysfonctionnements non verbaux ont été peu étudiés chez l’enfant sur le plan psychomoteur et il n’existe toujours pas de consensus international quant à leur définition. Ainsi, le terme de dyspraxie introduit dès les années 1960 (Brain) couvre des appellations différentes, englobant indistinctement maladresse, troubles de la coordination globale… Depuis les années 1980, deux classifications, la CIM-10 et le DSM-IV, ont essayé d’éclaircir cette notion, mais ne permettent pas de rendre compte de ses différentes typologies. Selon le DSM-IV, les troubles de l’acquisition de la coordination touchent 6 % des enfants âgés de 5 à 11 ans, avec une prédominance chez le garçon, et interfèrent avec la réussite scolaire. Plusieurs hypothèses sont discutées : la prématurité, la dominance cérébrale ou un dysfonctionnement cérébelleux… La DD est donc un trouble de la réalisation motrice du geste intentionnel. L’enfant a une volonté d’agir et son action en est le résultat. Le point de départ de cette volonté réside dans le but, la motivation, l’intention. Les difficultés cérébrales se situent dans la planification et la programmation du mouvement, essentiellement d’origine sensori-motrice et/ou visuo-spatiale. Le trouble peut affecter des gestes de nature différente : dyspraxie idéatoire, idéomotrice, visuo-constructive (trouble dans les activités d’assemblage et de construction), visuo-spatiale (trouble dans la reproduction de dessins géométriques, dysgraphie…), dyspraxie de l’habillage (à distinguer d’un problème éducatif), voire buccolinguo- faciale. Ces différentes dyspraxies peuvent être isolées ou associées chez un même enfant chez qui une comorbidité peut exister.

Différents profils cliniques

Jusqu’à 4 ans

Les activités domestiques quotidiennes sont souvent perturbées ; l’enfant se montre maladroit, casse, trébuche, est en échec pour manger seul ou s’habiller. Il ne montre pas d’intérêt dans les jeux et se trouve en échec dans les puzzles, les jeux d’encastrement et/ou de construction, lors du coloriage ou dans la copie de dessins. Son comportement est lent, avec peu d’autonomie ; il est souvent désordonné et a parfois une instabilité posturale ; il existe une fatigabilité, voire une tendance à fuir les tâches.

Après 4 ans

La neuromotricité peut être normale ou montrer de discrètes anomalies (hyper- ou hypotonie…). L’enfant peut montrer des difficultés dans le déroulement de l’écriture, et un retard dans le graphisme ; les praxies manuelles et les gnosopraxies digitales sont déficitaires dans la dyspraxie idéomotrice. La latéralité manuelle est souvent affirmée, les repères spatiaux de base sont en rapport avec l’âge de l’enfant, mais les repères spatio-temporels séquentiels peuvent être en échec, ainsi que l’intégration spatiale orientée du corps (droite-gauche). L’attention visuo-spatiale est le plus souvent perturbée : l’enfant « passe », a une attitude de négligence du regard pour observer ce qu’il doit copier, il présente souvent des anomalies de poursuite d’une cible (décrochage). A l’école, l’écriture est souvent lente, déformée, irrégulière, avec un non-respect de la ligne, parfois illisible. La dysgraphie (à différencier de la lenteur d’écriture) n’est cependant pas systématique. La copie de texte reste laborieuse, les cahiers, peu soignés (ratures importantes, désorganisation spatiale des mots et des phrases), avec peu ou pas de présentation ordonnée du texte. L’enfant intègre beaucoup mieux les consignes verbales qu’écrites ; il est meilleur en dictée qu’en copie. Il présente des difficultés pour poser (au niveau spatial), puis résoudre des opérations de calcul simple, et est en échec pour copier des formes complexes comme des schémas ou des tableaux en géométrie. Cependant, la compréhension de l’enfant est bonne, avec un bon niveau verbal. L’enfant dyspraxique est conscient de l’échec qu’il vit et dépense beaucoup d’énergie. En effet, il développe des stratégies compensatoires d’autant plus que son QI est élevé (les tests psychométriques montrent d’ailleurs le plus souvent un QI supérieur à la moyenne). Néanmoins, poursuit le Pr Vaivre-Douret, il développe une fatigabilité, une lenteur anormale. Il en résulte une perturbation psychoaffective avec une perte de l’estime de soi. L’enfant est très sensible aux moqueries, s’isole des autres, est mal compris car vite caractérisé comme maladroit, étourdi ou paresseux.

L’importance du diagnostic

Il est nécessaire tout d’abord d’éliminer un retard psychomoteur. La finesse de l’anamnèse et les données médicales recueillies sur le plan psychomoteur depuis la période néonatale sont précieux. Le dépistage précoce d’une future dyspraxie (de 3 ans et demi à 4 ans) et son diagnostic, dès que possible, évitent que l’enfant masque son trouble et développe des difficultés des apprentissages scolaires. Des conseils prophylactiques peuvent être donnés aux parents pour guider l’enfant en utilisant la mise en place de repères dans sa vie quotidienne, en l’encourageant, en utilisant différentes modalités sensorielles, en effectuant un découpage séquentiel de l’action, en entraînant une autoverbalisation et une réprésentation mentale de ce qu’il a à effectuer. Les parents doivent trouver des astuces (étiquettes pour ranger les jouets, surlignage…) pour aider leur enfant à se repérer et améliorer de ce fait l’ambiance familiale. Il est donc nécessaire d’avoir bien expliqué aux parents les dysfonctionnements existants afin qu’ils comprennent les mécanismes compensatoires spécifiques à leur enfant et nécessaires à son évolution. Tests d’évaluation standardisés Il est important d’utiliser les résultats de tests d’évaluation standardisés pour différencier retard mental et déficit. Chaque évaluation sollicite les praticiens diplômés dans la discipline concernée : examen ophtalmologique et orthoptique et neurovisuel (avec PEV) ; test psychométrique de Wechsler (QI) avec un examen neuropsychologique complété, si besoin, par un examen neurologique ; examen neuropsychomoteur (batterie récente standardisée NP-MOT) ; éventuellement, examen orthophonique en présence de troubles du langage, ainsi qu’un examen de la personnalité (tests projectifs, bilan pédopsychiatrique) face à des troubles psychoaffectifs invalidants ou psychopathologiques sousjacents. Il est nécessaire, par ailleurs, de ne pas considérer un test de façon isolée mais de « croiser » les résultats de différents tests afin de confirmer un diagnostic ; sinon, l’enfant risque d’être à tort et trop vite étiqueté sur les résultats de tests parcellaires. Le Pr Vaivre- Douret insiste pour « qu’il y ait une personne, en général le neuropsychologue ou le neuropédiatre, qui rassemble et raisonne sur l’ensemble des évaluations ».

Dr. Marie-Pierre Du Crest