La technique des packs illustre une utilisation pratique de la régression comme outil thérapeutique au sein de l’institution.
Cette méthode qui est ancienne est de nos jours très rarement utilisée. Elle constitue un exemple de soins corporels revisité par l’approche analytique, interrogeant le holding institutionnel du fait de son intégration de l’ensemble des soignants qui vont accompagner la régression dans les soins.
« Le pack, c’est le bateau du rêve…. » Un patient (G. Pous, 1974)
Le mot anglais Pack peut se traduire en français par « paquet, emballage, enveloppe ». Un pack est un enveloppement humide, serré, froid. Il s’agit d’un enveloppement humide, serré et froid (ou plus rarement chaud), qui va engendrer une réaction physique de réchauffement, aidant le patient à ressentir son corps dans sa globalité. Par cette méthode, le patient est amené à un état régressif lui permettant de ressentir un vécu corporel puis des sensations physiques et finalement son vécu psychoaffectif, il va ainsi percevoir, par « stimulation du schéma corporel », sa dimension physique et psychique dans la réalité environnante. Tous ces patients présentent aussi un état de régression plus ou moins marqué, tant du point de vue psycho dynamique que phénoménologique. Ils adoptent « des modes d’expression et de comportement d’un niveau inférieur du point de vue de la complexité, de la structuration et de la différenciation ». Cet état est souvent reconnu intuitivement par les soignants, qui acceptent que la première phase du traitement s’apparente à un maternage (perfusion, repos au lit, attitude de soutien). Cependant, cette période ne doit pas trop durer, et le patient devra être rapidement stimulé afin de reprendre une activité et retrouver son autonomie rappelant ainsi le « holding winnicottien ».
Le pack est pratiqué dans les conditions favorisant la régression : une pièce calme à la lumière légèrement tamisée. Les soignants sont au nombre de deux ou trois. On invite le patient à s’allonger déshabillé sur un lit recouvert successivement d’une couverture souple, un drap sec, suivi d’un drap, d’un linge de bain et de six serviettes de toilette essorés. On enveloppe ensuite les membres inférieurs et supérieurs avec les serviettes puis le thorax et le bassin à l’aide du linge ; enfin on couvre l’ensemble du corps avec le drap mouillé, le drap sec et enfin la couverture. Selon une réaction physiologique évidente, le patient se réchauffe rapidement grâce à une vasodilatation réflexe qui lui donne l’impression confortable d’être dans un bain chaud. En fin de séance, les linges sont retirés rapidement alors que le malade est maintenu dans la couverture, frictionné gentiment.
Pendant la durée du pack, les soignants s’installent aux cotés du patient et l’assistent en silence ou en parlant. Il s’agit alors d’une atmosphère propre à chaque cure mais qui se trouve réglée par un environnement précis. Un processus thérapeutique s’établit progressivement en fonction du temps et de la répétition mais le point de départ demeure invariablement l’infraverbal ; le corps reprend alors une dimension expressive comme chez l’enfant. Nous nous attachons en premier lieu au confort physique du malade et aux moindres manifestations corporelles. Celles-ci représentent la base du vécu psychoaffectif qui circule entre les protagonistes et qui établit une communication chargée d’émotions plus ou moins intenses. En principe, c’est le patient qui détermine ce qui se passe et la présence des soignants est, idéalement, sans exigence précise ; c’est alors, et alors seulement qu’une relation pourra ou non s’engager. La fréquence des packs est très variable : quotidienne, hebdomadaire, deux à trois fois par semaine. La durée peut également changer mais une heure apparaît comme une bonne moyenne. La cure ne comportera, dans certains cas, qu’une seule séance ou s’étendra sur plusieurs mois.
Le déroulement d’une cure de pack s’est révélé riche en implications relationnelles, au même titre que d’autres techniques de régression contrôlée. On observe des modifications importantes de la symptomatologie présentée par certains malades, des changements d’attitudes entre les thérapeutes, les équipes soignantes et les patients.
D’ailleurs, un compte rendu écrit est réalisé après chaque packing et une réunion régulière de supervision s’avère indispensable.
Quelle que soit la façon dont nous considérons les packs aujourd’hui, il est indéniable qu’ils appartiennent au grand groupe des traitements par l’eau. Pour tenter d’en cerner les origines, nous sommes ramenés aux mythologies les plus anciennes, tant il est vrai que l’hydrothérapie est vieille comme le monde.
Ferenczi dans Thalassa nous rappelle les premiers textes ou traditions orales évoquant la signification thérapeutique de l’élément aqueux. Il postule, au sein de la nature un regret fondamental de l’élément liquide que l’homme a perdu à deux reprises : en tant qu’espèce, lors de l’assèchement des océans à la surface du globe et, en tant qu’individu, au moment de son expulsion du sac amniotique au cours de la naissance. Cette réflexion l’amène à postuler ce qu’il appelle la « régression thalassale », c'est-à-dire l’idée d’un retour vers l’océan abandonné dans les temps anciens.
Au delà des aspects symboliques ou mythologique de l’eau, on ne peut toutefois pas parler d’hydrothérapie avant que certaines notions comme celles de maladies mentales ou de traitements n’aient une signification qui se rapproche de ce que nous entendons actuellement sous ces dénominations. C’est à partir de la fin du 17ème siècle que la cure par les bains prend place parmi les thérapeutiques majeures de la folie. Elle se base sur l’idée de l’ablution, avec tout ce qui s’apparente aux rites de pureté et de reconnaissance et sur celle de l’imprégnation qui modifie les qualités essentielles des liquides et des solides. Pinel en 1800 utilise la douche pour ses qualités mécaniques ; grâce à sa violence elle doit entraîner dans un flux irrésistible toutes les impuretés qui forment la folie. C’est au 19e siècle que les méthodes physio et kinésithérapeutiques vont prendre un essor particulier.
Pour revenir au domaine psychiatrique proprement dit, nous savons qu’une des premières descriptions de packs se trouve dans les leçons cliniques de Magnan (1893). A propos du traitement de ce qu’il appelle la Manie, il souligne, d’une part la nécessité de la « suppression absolue de la camisole de force et de tout autre moyen de contention » et d’autre part, « pour calmer et maintenir les maniaques…, l’emploi du drap mouillé. Les malades sont soigneusement enveloppés dans ce drap et dans une couverture ».
Mais il faut attendre l’après guerre pour que se précise l’indication psychiatrique telle que nous l’entendons. L’eau devient essentiellement un médiateur symbolique pour favoriser le sentiment de sécurité, la prise de conscience de l’existence corporelle et la relation avec les objets et les personnes.
C’est M. A. Woodbury (1966) qui est toutefois considéré comme le pionnier de la réintroduction des packs en Europe. Apres avoir mené plusieurs études fondamentales aux Etats-Unis, ce psychanalyste a posé d’importants jalons pratiques et théoriques, d’un abord « somato psycho social des psychoses » en collaboration avec Racamier. Woodbury recommande ce qu’il appelle « l’enveloppement anaclitique » dans deux indications principales : les paniques psychotiques aigues et les troubles chroniques du schéma corporel. A cette occasion, il cite les premières études faites à Chesnut Lodge pendant huit ans qui avaient démontré que 87 pour cents des crises de morcellement pouvaient être enrayées par les packs en quelques heures sans aucun médicament. Bien qu’on puisse suspecter une forme de contention déguisée, l’auteur précise que la méthode préconisée a l’avantage de permettre la poursuite du dialogue humain et l’intégration immédiate des événements qui ont précipité l’explosion. Dans ce sens, son hypothèse est confirmée par l’attitude des malades qui en arrivent à demander les enveloppements quand ils perçoivent eux-mêmes certains signaux précurseurs. Woodbury soulignent que les patients recouvrent rapidement la fonction de symbolisation verbale et confient fréquemment du matériel psychique profond indispensable à leur psychothérapie. Vu sous cet angle, les packs font partie des diverses techniques psycho-corporelles réorientées dans un sens psychothérapeutique. Woodbury expose aussi les bases théoriques de son approche psychothérapique basée sur le « schéma corporel et la trame perceptive ». Il insiste sur l’importance capitale de l’équipe soignante dans la dynamique d’une cure : sa capacité à tolérer la régression, sa cohésion interne et sur de bonnes relations inter hiérarchiques.
Racamier mentionne lui aussi cette technique. Il met toutefois en garde contre un enthousiasme prématuré qui consisterait à conclure, un peu rapidement, qu’un enveloppement pourrait suffire à ramener l’unité dans le véhicule corporel si profondément morcelé et fortement contre investi des schizophrènes. Il considère cette approche régressive comme très fructueuse à condition qu’elle soit bien comprise. C’est une manière originale de se débarrasser du spectre de la contention car « il est remarquable de voir qu’une même méthode, selon la façon dont elle est entendue et pratiquée, peut revêtir des signification et entraîner des effets complètement disparates »; c’est pourquoi il faut aussi tenir compte du fait qu’une partie importante du Moi des patients est en contradiction très profonde avec cette régression et veiller à ne pas prolonger au delà du strict nécessaire l’essai de satisfaction régressive.
Quelques articles dans les années 70 témoignent d’un regain d’intérêt dans le milieu médical. Feinsilver (1979) décrit la prise en charge intensive sur trois ans d’une jeune schizophrène ; l’auteur expose l’échec d’une tentative de psychothérapie verbale qui aboutit à un comportement si menaçant et destructeur qu’il instaure une cure de packs « afin de trouver une manière d’être encore ensemble » ; Pous G. et al (1974) aborde successivement la technique, les indications et les réflexions à propos des packs à partir de plusieurs cas cliniques.
De nos jours, la pratique de cette technique est exceptionnelle et ne s’envisage que dans l’espace de l’hôpital psychiatrique, comme une étape intermédiaire ou complémentaire à d’autres techniques de soins.
Le déroulement de la cure montre une subtile modification des transactions, le patient utilise progressivement son corps et son langage d’une façon nouvelle. C’est comme s’il se trouvait dans un espace nouveau où la symbolisation devenait possible.
L’enveloppement joue un rôle prépondérant dans le sentiment de sécurité qui fonde la relation soignant-soigné. Fait de draps et de couvertures, l’enveloppement constitue un médiateur, une barrière en ce qui concerne la dimension du toucher et écarte le pack du massage.
La métaphore du pack ainsi présentée se rapproche de l’ « objet transitionnel » de Winnicott évoqué plus haut, comme l’objet particulier choisi par le nourrisson au cours de son processus de maturation choisit un objet qui ne fait pas partie de son corps, et qu’il ne reconnaît pas encore complètement comme appartenant à une réalité extérieure. Cet espace est une aire d’illusion qui vient marquer un progrès par rapport à l’hallucination d’un objet fictif. Une similitude a été établie entre l’effet contenant du pack et l’enfant qui s’endort avec son objet. Dans les packs, l’espace ainsi crée est un espace d’illusion ; et la capacité du patient à l’utiliser en participant aux cotés des soignants, constitue un moteur de changement. En ce sens le pack prend une dimension psychothérapeutique.
Le pack tend par ailleurs à proposer un processus thérapeutique qui s’adapte aux besoins du patient et, en suivant Winicott (au sujet de la cure analytique), il va « lui permette au moins de passer par des phases de régression si ce n’est d’adopter un style de vie régressif et continu ».
Pour cela, le pack s’inscrit dans différents niveaux de contenance et participe à un « holding » du patient. Le pack s’adresse à ce que Balint a appelé « l’enfant dans le patient » dans un holding : il s’agit d’emmailloter le patient, de le porter pour lui offrir une période de détente. Pendant la séance, les soignants sont entièrement à sa disposition, prêts à se consacrer à lui aussi complètement que possible. Le médecin propose donc un environnement facilitant, fait d’abord d’attentions physiques qui répondent à un besoin psychologique. Il nous faudra donc poser la question de la capacité des soignants à « emphatiser » délibérément avec le patient.
Le pack participe à un système de pare excitation (fonction consistant à protéger l’organisme contre les excitations en provenance du monde extérieur qui par leur intensité risqueraient de le détruire ; la fonction assurée par la mère et par le psychisme du nouveau né est ici transposée au soignant vis-à-vis du patient). Il passe par différents niveaux de contenance :
Celle de la pièce dans laquelle se déroule le pack : petite, chaleureuse, sécurisante. L’introduction au calme fait partie du setting. La protection sensorielle (silence, lumière tamisée…) se réalise sans recourir à une isolation artificielle. De même que pour l’enfant manipulé et emmailloté, la seule stimulation est extéroceptive ; elle concerne la peau du patient et le sentiment d’être saisi se transforme rapidement en sensation de bien être.
Le référent du patient qui l’accompagne vers et hors de cette pièce, réalisant un lien entre le dedans et le dehors du pack.
L’enveloppement du corps par les draps humides.
La contenance offerte par les adultes en prise directe avec le corps dans les gestes, les paroles, les regards, la présence. Dans ces conditions, le patient n’a plus besoin de s’engager dans une relation adulte car il est accepté tel qu’il est et que la situation lui permet de se montrer sous un jour plus authentique sans trop en souffrir narcissiquement. Il sait les soignants centrés sur le pack et peut se dégager, du moins partiellement, de leur attente anxieuse d’un fonctionnement précis ou d‘une élaboration verbale. Les thérapeutes eux-mêmes ressentent moins la nécessité de tenir un rôle professionnel ; le paravent de la fonction s’amenuise. Mais s’ils renoncent à composer, ils se démasquent du même coup. Ceci expliquerait l’inaptitude de quelques soignants à s’engager dans les cures. Leurs difficultés ne relèvent probablement pas de leur formation mais plutôt d’une incapacité personnelle à s’identifier aux patients régressés.
Celle de l’équipe soignante qui porte l’indication, facilite la démarche, accepte le coût important en temps de personnel et enrichit ce travail lors des synthèses.
Celle du superviseur extérieur au service dont le regard donne une valeur thérapeutique au packing.
Celle de la famille qui accompagne, a visité les locaux, rencontré les participants, a été informée des modalités de cette indication.
Quels sont les patients qui pourraient bénéficier d’une cure de packs ?
Il est rare que cette modalité thérapeutique soit choisie d’emblée, lors de la première admission en hôpital psychiatrique. L’indication fait souvent suite à une situation d’impasse thérapeutique. Il s’agit généralement de personnalités gravement perturbées ayant recours, dans une optique psychodynamique, à des mécanismes de défenses très archaïques. Une approche génétique nous permet de supposer qu’une perturbation majeure est intervenue lors des premiers stades du développement affectif qui précède l’établissement de leur personnalité en tant qu’entité. Un des résultats tangibles de ces constatations est que, très souvent, ces patients sont incapables de formuler une demande d’aide en bonne et due forme. Ce fait complique singulièrement la tache des médecins et des infirmières qui se trouvent confrontés au double problème de décrypter un appel souvent infra verbal et d’y trouver une réponse adéquate. L’arsenal thérapeutique habituel est alors souvent sollicité : traitements médicamenteux psychotropes, entretiens d’allure plus ou moins pédagogiques, ateliers d’ergothérapie, socialisation par la vie dans l’institution, réadaptation… Mais un certain nombre de patients s’avèrent réfractaires au fonctionnement institutionnel standard et nous signalent, par la mise en échec du projet thérapeutique, des hospitalisations à répétition et leur chronicité, qu’ils attendent autre chose.
Une constatation : tous les malades dont il s’agit ici présentent un état de régression plus ou moins marqué, tant du point de vue psychodynamique que phénoménologique. Ils adoptent « des modes d’expression et de comportement d’un niveau inférieur du point de vue de la complexité, de la structuration et de la différenciation ».
Ainsi, nous pourrions opposer le comportement régressé du patient qui représente une tentative d’auto-guérison vouée à l’échec et sera souvent dénoncée (infantilisme, immaturité, fuite dans la maladie…) à la reconnaissance de cette régression qui est la perche ultime et désespérée que le malade tend à l’équipe soignante. « Il convient de parler des désirs du malade, le désir par exemple d’être calme. Avec le patient régressé, le terme de désir n’est plus exact ; il faut utiliser à la place celui de besoin. Si un malade régressé a besoin de quiétude, on ne peut rien faire, hormis la lui donner. Si on ne répond pas à ce besoin, il n’en résulte pas de a colère ; on reproduit simplement la situation de carence de l’environnement qui a arrêté les processus de croissance du self » (Winnicott, 1969)
La cure de packs répond à cet abord des phénomènes régressifs. L’utilisation de la régression comme outil thérapeutique, outil de la cure analytique initialement, s’inscrit essentiellement dans des soins intégrant une approche corporelle. La encore, le modèle psychanalytique de la cure a permis de repenser la clinique psychiatrique au travers de la clinique des packs et de l’intervention en psychomotricité mais aussi des soins en médecine somatique au travers du rôle de contenance de l’infirmière. Les concepts pédospychiatriques de holding, de capacité de rêverie maternelle, d’espace transitionnel, de pare excitation, d’accordage affectif sont ici d’un grand secours pour repenser la clinique.
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