Un exemple clinique auprès d'une famille dans une difficulté de rencontre mère-bébé autour de l'allaitement, situation, hélas, trop souvent rencontré.
Une jeune mère comblée par sa grossesse et son accouchement, souhaite donner le sein à son bébé qui, lui, ne le prend pas. Le petit garçon a cinq jours. Les sages-femmes ou les auxiliaires de puériculture interviennent à chaque tétée pour aider la mise au sein de la jeune mère maintenant en pleurs, qui finit après des moments de lutte avec son bébé par lui donner des biberons de complément. L’équipe me demande d’aller la voir.
Nous sommes devant une énigme compliquée à élucider… Le couple se désespère de cette situation qu'il ne s'explique pas : le bébé détourne systématiquement la tête du sein. Quels obstacles à leur rencontre se sont mis entre la mère et le bébé ?
Quand je viens près du jeune couple dans la chambre, la mère, fièrement, me fait part du bon déroulement de sa grossesse et de son accouchement, mais est bouleversée par l'agitation de son enfant qui entrave l'allaitement. Elle le trouve impatient, même nerveux, quand elle le prend dans ses bras pour le nourrir.
Le bébé dort dans son berceau. Lorsqu'il s'étire je propose à la mère de le prendre pour qu'il soit déjà près d'elle avant d'être tout à fait éveillé. Elle est soulagée de pouvoir le prendre contre elle alors qu'il est encore endormi.
Le bébé fait quelques mouvements de tête de droite à gauche que la mère interprète avec inquiétude comme l'impatience et la nervosité qu'elle craint chez son nouveau-né. J'interprète pour ma part ces mouvements comme le signe de sa compétence dans la recherche du sein (réflexe de fouissement) ce qui la détend immédiatement et transforme son regard sur le bébé "énervé" devenant un être en communication.
Sortie de sa projection, il lui est désormais plus facile d'être réceptive au comportement de son bébé. Sur le corps de sa mère, le bébé se rendort et je laisse la famille entre elle. Le père vient me chercher quand le bébé se réveille. Je me rends près d'eux avec une auxiliaire, accompagnatrice d'allaitement maternel. Nous retrouvons mère et bébé dans la situation décrite par l’équipe et par la mère: le bébé détourne la tête, refuse de prendre le sein, il le boxe. Mais il semble qu’il est moins en colère.
Alors qu'il se met à pleurer, la mère le dresse face à elle et je propose au bébé de nous raconter ses soucis. La mère me réplique, vexée, qu'il ne peut pas avoir de soucis car ils font "tout pour lui". Je lui dis avec humour que tout le monde a le droit d'en avoir et je rassure le bébé qui arrête de pleurer. Remis sur le sein, il le prend de plus en plus dans sa bouche mais ne peut pas le garder. J'entoure de mes bras, ceux de la mère, et le bébé accroche cette fois le mamelon et ne le lâche pas. Je reste une dizaine de minutes en silence auprès d'eux jusqu'à ce que le visage de la mère s'illumine.
Cet accompagnement repose sur l'observation : l'observation des besoins initiaux des bébés — peu connus ou alors peu préservés dans nos pratiques actuelles — et sur l'écoute du bébé dans ses élans et expressions ainsi que de la mère dans son corps et sa parole. Comment entourer des femmes qui se sentent seules et désemparées face à leur nouveau-né afin que ce moment ancestral soit harmonieusement partagé ?
Qu'est-ce qui a permis à cette situation d'impasse de se débloquer ?
Pour que mère et bébé puissent se rencontrer, nous avons cherché la configuration où l'un et l'autre pouvaient se détendre.
Dans la proximité qui lui est proposée, la mère peut se sentir accueillie, touchée, entourée, contenue, physiquement : elle se sent moins seule, son tonus se transforme. Dans la proximité mère-bébé, le corps à corps prépare la détente nécessaire pour un accordage entre eux, le rapprochement physique recrée un moment fusionnel.
L'interprétation du comportement de l'enfant permet à la mère de percevoir son bébé autrement, dégagé de ses pulsions agressives, et de découvrir qu'elle peut alors aussi être désirable pour lui. Les émotions ressenties dévoilent des fantasmes archaïques crus (dévoration, engloutissement…).
Ce partage et cette contenance physiques sont aussi partage et contenance psychiques. La mère peut alors découvrir qu'elle n'a pas seulement le désir mais aussi la capacité d'allaiter, que son bébé possède les moyens pour y parvenir ; ils peuvent alors communiquer et s'accorder l'un à l'autre, au lieu d'être menaçants l'un pour l'autre…
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